Lecteur: Philippe Lançon
Les trois nouvelles se passent aux Etats-Unis, où elle a étudié la littérature américaine, où elle a pas mal bougé, où elle habite. Les nouvelles explorent le même phénomène : la frustration au coeur du prétendu rêve américain ; frustration qui rend fou, dans un monde où la volonté et l’intimité se heurtent à l’injonction de réussir à tout prix et à la médiocrité sociale, sensible, intellectuelle, qui accompagne cette injonction. Les trois textes sont réussis, parce qu’ils sont drôles, denses, exigeants.
Le premier est le plus long. Il s’intitule : « US Interstate ». C’est l’aventure d’un couple amer, au bout du rouleau, qui n’a cessé depuis vingt ans d’aller d’un endroit à l’autre, à la recherche d’un avenir qui recule, qui disparaît. Ce couple débarque dans une petite université de l’Iowa. L’homme, Jacob, a obtenu un poste d’enseignant en biologie. La femme, Amanda, est aussitôt accablée par la saleté et l’état d’abandon de la maison que cette université leur prête. La cuisine est couverte de graisse. Les toilettes sont sales. Il n’y a pas de machine à laver. Tout est laid, gris, sinistre, dans la maison comme sur le campus. Le responsable de l’intendance est un beauf de mauvaise volonté. Il propose à Jacob d’aller à la chasse, mais pas de lui livrer une machine à laver. Amanda déchaîne ses sarcasmes contre la maison, son mari, leur impasse. Son humour noir est efficace, mais on comprend que Jacob finisse par se demander comment il peut aimer un tel dragon .
Cependant, c’est elle qui lui reproche d’être « fatigant » (« cansino »). Il ne supporte pas ce mot. Il ne supporte plus ses critiques sans perspectives. Il lui dit qu’il faut être patient, que Rome ne s’est pas bâtie en un jour, etc, mais, comme ça fait vingt ans que ça dure, il n’y croit plus guère lui-même. Ses étudiants sont pervers, stupides, immatures. Ils ne supportent pas qu’on exige d’eux le moindre effort. Premier tweet, après les premiers cours : « Le nouveau nous prend pour des patates pourries. » Celle qui l’a écrit supporte mal qu’il ne lui ait pas donné les réponses aux questions avant l’examen. Chez les collègues, l’hypocrisie règne. L’administration a peur des étudiants, qui sont ses clients. Jacob est convoqué par le doyen, qui lui demande d’être plus souple. Tout va de mal en pis, jusqu’à une cérémonie burlesque et à une scène de comédie noire dans des toilettes. Il y a une scène importante de toilettes dans chaque nouvelle, comme si la vérité des personnages, leur solitude, leur folie, ne pouvait exploser que là. Le texte mêle habilement les dialogues, féroces, et les brèves descriptions, filtrées par l’intériorité des personnages, par leurs dérives psychologiques respectives. Tout le mal qu’on peut penser (ou fantasmer) du mode de vie américain dans un trou du Midwest est joyeusement, sobrement, exposé. On a déjà lu ça, précisément chez des écrivains américains. Ce n’est pas une raison pour ne pas y revenir depuis une autre langue, l’espagnol, surtout quand c’est bien écrit.
Le deuxième texte s’intitule « Les Lignes ennemies ». Hilda, un écrivain à succès, auteur de romans à l’eau de rose, ne supporte plus les âneries sucrées qu’elle publie. Elle voudrait écrire, sous un autre nom, de véritables textes, qui correspondent à ce qu’elle sent, vit, pense. Son mari est d’accord. Il lui tend une boîte de conserve de haricots, sur lequel un homme viril est dessiné. Elle trouve que l’homme ressemble à un maffieux mexicain. La marque est Labonte. L’écrivain qu’elle va devenir s’appellera donc Artie Labonte. Labonte écrit des textes exigeants (ce pourrait être Mercedes Guttiérrez), et, contre toute attente, ça marche. Il a du succès, mais, contrairement à Hilda, c’est un succès digne, authentique, littéraire. L’histoire n’est alors plus contée que par bribes, de l’intérieur de la conscience de l’écrivain. Celle-ci est le théâtre d’une guerre à mort entre les deux auteurs qu’elle héberge. Hilda hait Labonte, qui méprise Hilda. Quand le mari meurt brusquement (aux toilettes), leur affrontement devient sans merci. La personne est peu à peu détruite par les auteurs qui se déchirent en elle, avec toute la mauvaise foi possible. Ce pourrait être une fable démonstrative (le succès populaire contre le succès d’estime) si la forme, le langage, l’humour, n’en faisait toute autre chose : la perception intime d’une dérive.
Le troisième texte s’intitule : « La formule ». Le directeur d’un Institut de recherche, largement financé par une grosse boîte pharmaceutique, doit annoncer que l’un de ses jeunes chercheurs a découvert une formule qui pourrait permettre de réduire la douleur. L’enjeu est énorme et le directeur décide, au terme d’un débat intérieur que sa conscience fausse, de s’approprier la découverte de son chercheur. Lui-même n’a jamais rien découvert dans sa vie. Il est proche de la retraite et aimerait partir avec quelques lauriers et un compte en banque bien rempli, un bonus, et direction la Floride ensoleillée. Il avait déjà mal avalé qu’une autre de ses doctorantes soit primée pour « sa contribution à une meilleure compréhension du fonctionnement d’un neurone dans l’abdomen du crabe ». Il va souvent aux toilettes, sans doute la prostate. Une petite voix lui souffle qu’il est un voleur, mais « voler, quel mot effroyable. Prendre possession plutôt ou, mieux encore, réclamer », comme on dit : réclamer son dû ; car n’a-t-il pas tout fait pour soutenir ce chercheur pas sûr de lui, neurasthénique, qui sans lui n’aurait jamais trouvé la formule ? La mauvaise foi, encore elle, déploie en lui toutes ses armes jusqu’à la scène finale, qui a lieu sur une plage et tourne autour d’une paire de sandales. Comme dans les deux précédentes nouvelles, la frustration et la médiocrité auxquelles le scientifique est soumis lui imposent une tension qui le font exploser et, avec lui, sa logique et son langage. On n’est pas étonné d’apprendre que l’auteur aime Flannery O’Connor et John Cheever. Ses personnages poussent à l’ombre de leurs splendides épaves. Leurs rêves amoindris, étranglés, leur intériorité soumise à l’ambition déçue et au silence, nous font imaginer toutes les vies qu’on a ratées. Ce sont des hommes et des femmes divisés.
A traduire.
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Helen Weir - Senior Editor at Two Hoots, an illustrated imprint of Pan Macmillan.
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